JUILLET 2017 - Son propre chemin - Au delà de la raison - Deux formes de transcendance - Le cachet de l'authentique - Un quiétiste intranquille - Et maintenant

Son propre chemin

La vie "intérieure" semble parfois à la traîne du vécu, comme une force d'inertie, de résistance, et pourtant elle nous en protège. Elle va son chemin, conquiert son autonomie, prend de l'importance avec le temps et finit par faire valoir ses propres exigences, au point que le vécu lui-même n'a d'importance que relative.

Au delà de la raison

L'homme qui avance est confronté à chaque pas aux paradoxes de la raison. La logique poussée jusqu'à ses limites est même un dérèglement de l'esprit, le vestibule de la folie, ce qui d'ailleurs en fait son intérêt au plan humain (Rousseau). Face à la raison, et comme alternative à elle, la transcendance m'apparaît comme une force très saine (Kierkegaard). Contrairement aux fausses antinomies générés par les insuffisances du langage et qui font de la pensée une boucle refermée sur elle-même, la transcendance, dans son dialogue souvent conflictuel avec la raison, fait progresser le sentiment de l'existence, lequel nous assure un véritable statut en ce monde.

Deux formes de transcendance

Ma tendance la plus spontanée serait d'aller non pas vers Dieu mais vers l'au-delà du monde matériel. Le monde matériel me semble en effet le vecteur d'une forme de transcendance et non pas uniquement le lieu de la pure immanence comme c'est généralement admis. C'est un puissant révélateur, un transformateur de vie, le promoteur d'un nouvel ordre possible, le mobile d'une conversion. Le truchement qui nous permet d'y pénétrer n'est pas la foi mais l'imaginaire.

Garder cependant en réserve, on ne sait jamais, la possibilité de la transcendance divine. Écouter attentivement ceux qui en parlent de manière éloquente. La transcendance divine finira peut-être par s'imposer en moi avec une évidence aussi forte que celle de l'imaginaire du monde et peut-être en étroite alliance avec lui, comme me le suggèrent les paraboles évangéliques où les substances matérielles sont présentées comme autant de signes du divin.

Le cachet de l'authentique

L'homme dont la voix porte encore choisit d'aller vers les autres, même si les autres ne l'attendent pas. Il n'est pas rebuté par la difficulté de toucher son prochain. S'il est vraiment en bout de course et qu'il ne peut plus parler fort, il se repliera vers les quelques proches qui lui restent puis, en dernier recours, vers l'ultime interlocuteur. A celui-là il demandera de mettre sur sa vie le cachet de l'unique, le cachet de l'authentique. Évolution naturelle de l'existence. Statut banal que celui de la personne âgée dialoguant en silence avec qui de droit. Immense communauté humaine dont j'entends d'ici le murmure.

Un quiétiste intranquille

Le recherche d'une vie authentique me livre au devenir en m'éloignant du très improbable être-en-moi. Ceci ne me semble ni tragique ni absurde. Je suis optimiste sur l'issue de l'aventure intérieure car dans ma balance personnelle le projet l'emporte largement sur la réalité du moi. Je me demande d'ailleurs d'où nous pouvons bien tirer cette notion d'être appliquée à nos chères personnes, nous qui sommes pur devenir donc pure fluctuation. L'essence, notion sans équivalent dans la réalité matérielle, n'est peut-être qu'un vestige grammatical égaré dans la conscience, une infirmité que la culture occidentale amplifie et dont les philosophes font à la légère le théâtre de nos névroses. Pour moi, pas de drame ni de solution. Je me définirai comme un quiétiste intranquille.

Et maintenant

J'ai l'impression qu'une étape de mon parcours philosophique s'achève. Pour résumer très grossièrement, j'admets maintenant que la frontière entre le monde et moi est incertaine et je m'imagine plus facilement comme pur devenir. Je me suis rendu compte que les idées de la philosophie ne servent pas tant à comprendre objectivement le monde qu'à mieux traduire les fluctuations du sentiment de l'existence (connaissance versus existence). Les idées, même les plus abstraites, sont les morphèmes d'un langage en recomposition permanente. Elles n'ont de vérité que dans l'alliance d'un jour avec la sensibilité individuelle. La philosophie en tant que philosophie est peut-être un leurre, un leurre autant qu'un jeu. Mais on ne peut se passer de philosopher.

Malgré mes efforts, l'imagination, la mémoire, la sensibilité esthétique ne me semblent pas avoir tiré profit de cette cure de l'intellect. Avec Bachelard je pensais aborder les confins entre les idées abstraites et la poésie, passer insensiblement d'un domaine à l'autre. J'ai été studieux, mais plutôt que de me confier à un intercesseur j'aurais dû entrer dans le chaudron de l'écriture autobiographique. Les idées y seraient restées les éléments de base mais comme autant de monades, douées de désir et de sensibilité, associées en combinaisons éphémères, se fixant temporairement sur des lieux, des espaces, des choses. Les mots n'auraient qu'effleuré l'incident, masqué tout repérage, et m'auraient pourtant immergé dans la poésie du monde. Un programme évidemment hors de ma portée !

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Révisé en juin 2023