FÉVRIER 2017 - Le droit d'écrire - L'objet et le sujet - Intellect et existence - L'ultime resserre - Ou bien ou bien - Violence du néant - Immanent/transcendant - Hors de nous et nous contenant - Blondel et Pascal - Initiation philosophique - Poésie de la vie quotidienne

Le droit d'écrire

J'emprunte leur énergie aux mots pour comprendre qui je suis.

L'objet et le sujet

La confusion que j'entretiens entre sujet et objet ne résulte pas d'un manque de discernement. Elle est constitutive de ma démarche: il s'agit d'une tendance profonde à cette période de ma vie. L'orthodoxie philosophique me prescrirait de ne pas persévérer dans cette erreur, mais ce qui m'intéresse c'est d'aller dans mon sens, de réaliser mon programme personnel. Ce n'est pas d'aujourd'hui que ma conception de l'objectivité est ambiguë. Quand je dis faire une priorité de la perception du monde extérieur, ce dernier est bien le produit de mon imaginaire. Ainsi les choses sont-elles plus claires désormais: il y a bien un monde extérieur indépendant de moi que je veux mieux connaître. Mais ce que je mettrai dans ce monde est intégralement subjectif. C'est dire que sujet et objet se confondent à un point tel qu'il n'est plus nécessaire de prendre la précaution de les distinguer.

Intellect et existence

Deuxième ambiguïté, qui n'est pas sans rapport avec la précédente, entre les deux manières principales de philosopher: l'intellectualisme et l'existentialisme. Dans l'intellectualisme pur, le philosophant s'efforce de s'abstraire de tout affect, de toute contamination par le trop humain. Cette attitude est considérée comme plus objective car elle concerne un objet supposé extrinsèque. Paradoxalement, elle peut, en se raffinant à l'extrême, aboutir à des produits monstrueux qui n'ont plus rien à voir avec la vie et qui doivent leur intérêt, qui peut être vif, à leur place dans une sorte de tératologie de la pensée humaine (la scolastique, le sensualisme, la psychanalyse, le structuralisme). Dans la philosophie existentielle, c'est au contraire la réflexion sur le sujet humain, sur l'existence et sur l'être, qui prime. C'est une fonction vitale, instinctive même. Celui qui réfléchit remplit ici son rôle d'homme, il ne s'écarte pas trop loin de la nature et en cas d'excès il est ramené au bercail comme par une force de rappel.

L'ultime resserre

Sentir que le moment est venu de me tenir dans l'ultime resserre. Ses limites et ses règles ont été définies avant moi, sans moi. Mais de cet espace contraint et clos, mon esprit pourra s'évader sans enfreindre la Loi et en respectant la Lettre. Il n'y aurait pas résignation à accepter cette limitation et à abandonner mes dernières traces d'orgueil. Comment un pauvre pêcheur peut-il prétendre refaire le monde à lui tout seul ? Celui qui nous est proposé par l'Écriture est inépuisable. Celui qui a la chance de pouvoir y trouver l'inspiration ne se soucie plus de sa propre survie: il participe à ce qui le dépasse. Il vit enfin de la vraie vie, et pour cela il n'est jamais trop tard. 

Addition à la révision (mai 2023) - Ce qui m'éloigne le plus de la doctrine chrétienne c'est l'idée insensée d'une survie de l'individu dans l'éternité et, au delà, celle du salut individuel. Mais ici je voyais sans doute l'individu comme le moyen de son propre dépassement. D'ailleurs on peut adapter la doctrine à ses propres conceptions !

Ou bien ou bien

Les deux termes de l'alternative chez le sage: ou bien une fuite hors de l'être, ou bien une réconciliation totale et assumée avec l'être. L'absolu de l'être ne réside pas dans une hypothétique permanence, voire dans l'immortalité, mais dans la finalité de sa trajectoire, dans sa perfection à venir. Il est possible que je puisse un jour, avant que le corps ne lâche prise, me prélasser dans l'être au lieu de le fuir. J'hésite toujours entre les deux voies. Je les mets à l'épreuve, alternativement, sans pouvoir me déterminer. Il me semble que des deux voies, la première, essentiellement contemplative, est la plus difficile. N'est-il pas prématuré de faire un choix et n'est-il pas envisageable de les rendre compatibles ?

Addition à la révision (mai 2023) - Toujours en phase avec cette idée qui est littéralement structurante pour l'existence, comme toutes les alternatives. Bien entendu j'ai hesité à mettre une majuscule pour le ê de être, mais j'aurais tout aussi bien pu le faire. En effet quand l'esprit est dans la pensée de l'être, là encore on peut balancer entre le ê et le Ê. Ne jamais choisir définitivement.

Violence du néant

Aucune pensée sincère n'est bénigne mais les plus violentes me semblent celles du néant. Ne sont-elles pas les images, dans un certain miroir, de la plus déterminée volonté d'être, le comble du narcissisme ? Si l'on veut analyser et comprendre les nihilistes, dont il existe maintes catégories, il faut rechercher le miroir déformant dans lequel ils se regardent: l'image du miroir est leur état d'âme. On est ici à mille lieux de la sagesse et pourtant les plus radicaux des nihilistes s'imposent curieusement comme des philosophes (Nietzsche, Cioran).

Immanent/transcendant

Une éthique du sujet actif et volontaire quêtant directement en son être débile les signes de l'Unique (Pascal) et une éthique du sujet caméléon essayant de se glisser dans la peau de tous les êtres et de toutes les choses pour accéder par l'immanent au transcendant (Rousseau). Une synthèse est-elle possible ? Oui sans doute, et là résiderait la vraie sagesse.

Hors de nous et nous contenant

Trompés par nos intuitions divinatrices, nous nous prenons pour les monarques, à jamais écartelés, des royaumes de l'être et du phénomène, alors que Dieu est à l'évidence le maître, le centre commun aux deux royaumes. Il est hors de nous et nous contenant.

Blondel et Pascal

La forme de la démonstration chez Maurice Blondel (L'Action, 1897) a quelques analogies avec celle de Pascal. On veut, dans un premier temps, montrer l'ambiguïté ou la duplicité de la position antagoniste (l'esthète chez Blondel, le libertin chez Pascal) puis on élabore la solution qui permet de dépasser l'aporie, de résoudre les contradictions. Dans la description de la grandeur et des misères de l'homme, Pascal touche le fond de la nature humaine, la nature étant envisagée ici comme la place dans la Création, donc dans la lignée animale. Blondel considère vraisemblablement cela comme acquis même s'il n'y revient pas expressément. Il va un peu plus loin, me semble-t-il, dans la perception de nos incapacités à concilier nos aspirations divergentes, dans le divorce entre nos formidables intuitions (probablement ce que Kant appelle les jugements synthétiques a priori) et les représentations intellectuelles appauvries que nous pouvons en donner. Les deux infinis (petit et grand) et les deux esprits (géométrie et finesse) ne suffisent pas selon lui  à rendre compte de la misère de l'homme. La clé du problème repose sur la divergence, apparente pour nous seulement, entre l'essence des choses (ontologie) et leur présence au monde (phénoménologie). Or ces deux notions sont compatibles avec l'infini et avec cette variante de l'infini qu'est la plénitude. Elles les rattachent dans un même mouvement à ce qu'il faut bien consentir à appeler Dieu.

Autre différence entre Blondel et Pascal: le mouvement volontaire qui permet à l'homme  d'aller au devant de l'infini c'est, pour Blondel, l'action, en premier lieu la pensée, continuée et jamais définitive. Chez Pascal, ce mouvement est un saut, une impulsion, une transition brutale entre deux états curieusement décrits comme stables :  le pari est une conversion aveugle au dogme. Blondel, de son côté, a une vision ouverte, progressive et souple. Est-il sacrilège de dire : plus intelligente ?

Initiation philosophique

Si l'on considère le temps nécessaire pour entrer sérieusement dans le moindre ouvrage de philosophie, je ne vois pas comment les manuels, notamment ceux d'histoire de la philo, pourraient sérieusement initier à la pensée des grands maîtres. Un historien de la philosophie est nécessairement lui-même un pilleur, un compilateur. Le vrai philosophe, quant à lui, reconstruit en toute naïveté la généalogie entière de la pensée universelle avec un ou deux auteurs qu'il a croisés par hasard et dont il se sent intimement proche.

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Révisé en mai 2023