MAI 2016 - Le soi à-venir - Husserl et moi - Mon imaginaire - Lecteur Prométhée - Résolution d'un jour - Transfiguration du réel - Un stade vraiment dépassé - Mon passé d'amoureux - Une gravité euphorique

Le soi à-venir

Pour certains, la liberté intérieure c'est donner libre cours aux multiples avatars du soi, aux sois de circonstance, dont la conscience serait en somme la régulatrice. Pour moi la liberté intérieure réside dans le choix du meilleur avatar, celui qui se rapproche le plus d'un certain idéal, surtout quand la vie extérieure n'impose plus de contraintes (survivre, gagner sa vie, acquérir la sécurité, la reconnaissance, etc.). Le soi idéal n’est pas définitif, c’est une tendance, un à-venir.

Husserl et moi

L'obstination à vouloir comprendre les conceptions philosophiques a du bon tout de même, même s'il m'arrive quelquefois d'en douter. En lisant l'article Phenomenology du  Stanford Encyclopedia of Philosophy, je réalise que mon souci d'accéder à l'au-delà des objets du monde réel sans en rester à une perception routinière, ressemble, en toute immodestie, à la conscience phénoménologique husserlienne. En effet, il ne s'agit pas de s'identifier aux objets extérieurs pour mieux emprunter à leur essence puis atteindre à la commune essence (attitude d'immanence) mais au contraire d'acquérir une conception transcendantale de ces objets, liée sans ambiguïté à mon statut de sujet mais dégagée des liens de la réalité. Rien de plus platonicien aussi.

Mon imaginaire

Images qui s'offrent à profusion, obsession folle de les voir mieux qu’elles ne se laissent voir. Je suis inondé de beauté, en toute saison. Que demander de plus ? Je n'ai pas même à inventer, à trouver un langage. Il me suffit d'ouvrir les yeux. Alors : pourquoi ce manque ? Ce ne sont pas les images du réel qui m'échappent, ce sont les images de ces images, celles qui figurent dans mon imaginaire, et celles-ci attendent bien mes mots pour vivre enfin, pour être délivrées.

Lecteur Prométhée 

Il est une catégorie particulière de lecteurs, et j'en fais partie, qui ne sont ni critiques ni commentateurs de profession mais qui se nourrissent substantiellement des œuvres littéraires pour nourrir leur intelligence du monde. Ces lecteurs dérobent leurs mots aux vrais créateurs, comme Prométhée le feu au ciel.

Résolution d'un jour

Je serais prêt à abandonner de pans entiers d’un savoir qui, dans un premier temps, me paraissait pertinent, à laisser tomber tous les traités de philosophie et d'histoire, pour ne conserver que Bergson et Bachelard, en y ajoutant toutefois une anthologie poétique, un traité élémentaire de linguistique et les Évangiles. Qu'en sera-t-il de ces bonnes dispositions dans un an, dans un mois, ... demain même ?

Transfiguration du réel

En prenant plus de recul encore, en essayant de comprendre la direction de mon mouvement intime sur le long terme, j'en viens à penser que ce que je cherche, au delà de toutes mes velléités, c'est de m'identifier à une certaine abstraction de la réalité, à une réalité simplifiée, épurée, qui recèle tout le sens que je suis en mesure de donner au réel. Cette abstraction est le produit d'une chimie intime qui s'est opérée durant toute l'existence et dont je n'avais pas forcément conscience sur le moment. Et aujourd’hui, tout aussi inconsciemment, j'élimine de mon existence tout ce qui pourrait entraver ce processus d'identification. Cette signification particulière que je confère au réel est chaque jour plus élaborée mais le chemin est irréversible. 

L'homme est ce qu'il devient, certes, mais il arrive un temps où son monde, - ce réel transfiguré par ses propres soins, - est si près d’être achevé que l’effort, s’il y en a, consiste essentiellement à s'adapter à ce qu'il se trouve être devenu, à bien se reconnaître dans le cadre qu’il a lui même façonné. Cette pensée complète, je crois, tout ce que j’ai pu dire précédemment sur la conscience comme lumière du for intérieur. Je ne parlais alors que du présent. Mais la vie individuelle, dans sa durée, est la construction plus ou moins consciente d’une représentation du monde extérieur, et c’est bien hors de soi qu’on dépose un peu de soi, de son vivant déjà. Si je persistais à vouloir écrire ma biographie, il faudrait garder cette idée en tête : ne pas me limiter aux moments, par ailleurs si importants, où la claire conscience a pris le dessus, mais essayer de décrire comment le réel a été progressivement transposé, comment j’en ai fait mon affaire en quelque sorte.

Un stade vraiment dépassé

Le même jour. J'ai eu besoin d'écrire ce qui précède car je suis perturbé par un engagement extérieur qui me force à sortir de mon rêve en recréant cette agitation propre au travail et aux responsabilités. Je sens clairement que c'est un retour en arrière, une régression dans mon parcours personnel. Notre principale motivation c'était avec T de sortir momentanément de notre relatif isolement et de faire connaissance avec certains protagonistes de cette action collective. Mais ce mouvement vers les autres est troublant à ce moment précis de l'existence. Je sens bien qu'il y a chez moi un inexplicable reste d'illusion sur les hommes. Je croyais avoir dépassé ce stade. Je l'ai dépassé, c'est évident.

Mon passé d'amoureux

Je l'ai déjà pressenti: nous sommes expliqués, individuellement, par la nature et par les formes de nos sentiments amoureux. J'entends ceux que nous avons éprouvés tout au long de notre vie. J'avais presque oublié cet héritage caché en moi. Or ce n'est pas parce que l'amour s'est assagi et a pris la forme d'une liaison conjugale fidèle que je dois me désolidariser de mon passé amoureux, de mon passé d'amoureux. Il contient les déterminants d'un être possible, ceci au delà des échecs, des impasses et des déceptions auxquels il est associé et que je ne dois pas considérer comme des scories de la vie.

Une gravité euphorique

La création la plus authentique est l'expression d'un état d'urgence. Et il n'y a pas d'urgence plus dramatique que le sentiment de sa propre fin. C’est un état de gravité euphorique, les images et les mots semblant chaque jour plus familiers et plus dociles, comme si cela devenait enfin à notre portée.

gilleschristophepaterne@gmail.com
révisé en mars 2023