AVRIL 2016 - Comme d'une guigne - Le port définitif - Changer de régime - Préfiguration de l'essence

Comme d'une guigne

Les idées sont les degrés d’un escalier sans fin. On ne s’arrête pas longtemps à une pensée: elle en appelle toujours une autre. Quelle dérision ! De la philosophie il n’y a de stable que les lieux communs de la sagesse à destination des lycéens, et dont je me soucie comme d’une guigne, même quand ils sont bien dits !

Le port définitif

Admettre que mon monde intérieur est fini, ce serait l'animer uniquement de ce que j’ai déjà reconnu comme mien. Pourtant chaque jour apporte son motif d’égarement et de dispersion. Tant de choses extérieures m'attirent que je ne sais plus où donner de la tête. J'ai l'impression que mon éclectisme est un échec.

Certains comprennent tôt dans la vie combien ce repli sur le monde familier est sage. Est-ce délibéré ? Y ont-ils réfléchi ? Je parle de sagesse, mais y a-t-il des penseurs consacrés qui ont fait l'éloge du fini comme signe de la sagesse ? On pourrait ranger des pyrrhoniens comme Montaigne ou Alain dans ceux-là, ou encore les pragmatistes comme W. James. Mais quand on passe en revue les grandes philosophies, on a l'impression que l'horizon de la sagesse est à jamais repoussé.

Aujourd'hui, je parle d'une pensée finie, proportionnée à la durée de l'existence humaine. Une pensée qui fait sa priorité de trouver une demeure définitive avant qu'il ne soit trop tard, afin qu'advienne le moment où elle pourra enfin se lover dans l'existence et jouir un moment de sa réunion avec elle. Il est légitime à mon âge de chercher le port définitif, c'est-à-dire le lieu imaginaire où je me tiendrai apaisé jusqu'à la fin. Alors je n'ambitionnerai pas d’être plus que je ne suis, d’être autre que je ne suis.

Changer de régime

Chaque période de la vie a ses besoins et ses exigences propres. On ne vit pas à 65 ans comme à 40, ni dans son corps ni dans sa tête. On voit pourtant des retraités essayer de reproduire un modèle de vie extérieure très actif (sorties, voyages, associations, etc..), ou se créer des devoirs artificiels pour tuer le temps. Le monde alentour est ainsi encombré par l'activité absurde de retraités qui ne savent pas tenir en place. C’est peut-être bénéfique pour le Produit National Brut. Moi j'ai adopté un régime au ralenti.

Ce qui est vrai pour l’activité extérieure l’est aussi pour la vie intérieure. De ce point de vue, j’observe deux tendances contradictoires en moi: me délester peu à peu, ce qui est raisonnable, ou continuer à accumuler, ce qui est absurde. Raisonnable de s'alléger pour mieux se rassembler avant l’ultime voyage. Absurde d'accumuler un savoir pléthorique, qui entrave le progrès sur la voie de la sagesse.

Préfiguration de l'essence

Percevoir ce qui se cache derrière les choses, renouveler ma perception des notions fondamentales telles que le temps, l'espace, les éléments matériels. C'était ma folle ambition au début de ce blog. Après m'être égaré sur le terrain périlleux de l'ontologie, je réalise, après quelques lectures  superficielles sur la phénoménologie, que cette approche philosophique pourrait relancer ma curiosité pour l'ontologie et, plus globalement, pour la métaphysique. J’ai l’impression, sous réserve de confirmation, que la phénoménologie corrige la tendance de l'esprit humain à confondre l'essence des choses avec la visée de la conscience pour atteindre cette essence. Pour la phénoménologie, l'essence est postulée, jamais définitivement acquise. La phénoménologie est alors une forme d'ascèse, le sujet considérant l'objet dans la mesure où il se met en situation de le transcender. N'est-ce pas ce que j'essaie de faire ? L'ontologie est renvoyée à une tendance de l'esprit, à un désir du sujet percevant son objet et ne se présente plus comme une définition de l'objet sans rapport avec le sujet. 

Au fond c'est consentir à déplacer la borne de l'esprit humain de l'absolu de l'essence (l'être sub specie aeternitatis) vers le relatif de l'existence. L'homme pressent les essences sans jamais pouvoir les atteindre, l'essence suprême étant Dieu. Cette préscience s'impose à lui d'abord comme un besoin irrépressible de l'esprit. Rejeter cette préscience sous prétexte qu'elle est vaine et non fiable, c'est s'amputer d'une partie des forces de l'esprit. L'objet est indissociable du sujet et l'existence est la préfiguration de l'essence, non pas l'antithèse, la contrepartie, la démarque.

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Révisé en mars 2023