SEPTEMBRE 2015 - Usager de la philosophie - Le soi antenne - Complémentarité des éthiques antiques - L’éternité - La théologie et l'Église - La métaphysique quand même - Une autre biographie - Retour à l’incréé - Le crime du dieu biblique - Celui qui se souvient - Ma communauté

Usager de la philosophie

La pratique philosophique est indissociable de mon expérience existentielle. Je ne cherche pas à acquérir une culture philosophique mais, plus modestement, à donner une expression fidèle aux idées que sécrète la vie intérieure. Le plus souvent, l'idée juste ne vient qu'après maints tâtonnements: je fais mes gammes et je cherche l'accord. Chez les penseurs patentés, j'aime aussi une parole qui se cherche par petites touches avec le souci de se faire entendre. Il n'y a rien qui m'agace plus que l’imprécation ou le style péremptoire assenant en quelques mots définitifs des vérités prétendument universelles.

Le soi antenne

Préserver le soi-antenne, capteur des mondes, instrument d’évasion. Cette part du soi que nous abandonnons le plus tôt sur la route de la vie, ainsi qu'on peut le lire dans le regard éteint des gens de ma génération.

Complémentarité des éthiques antiques

Ce qui m'intéresse dans les écoles antiques (platonisme, aristotélisme, stoïcisme, épicurisme, pyrrhonisme, scepticisme, cynisme) c'est leur complémentarité. Chacune apporte une spécificité et une nuance indispensable à l'honnête homme qui ne se revendique d'aucune chapelle. Pour lui, donc pour moi, nulle urgence à choisir entre telle ou telle. C'est une question de jour, ou même d'heure. Les grandes éthiques forment une portée à plusieurs lignes qui soutient la mélodie de l'existence.

L’éternité

Pour le chrétien qui croît à sa propre éternité la mort conserve-t-elle une signification quelconque? Aucune à la lettre puisqu'il se croit immortel ! Croire en l'éternité de l’individu équivaut à nier la mort ! Au contraire, celui qui a la mort comme horizon s’attache fermement à la vie et essaie d’en faire un champ d'amour et d'espérance.

Le paradis et l'enfer, lieux inventés par le pouvoir religieux, autant pour défier la mort que pour tenir le bon peuple à carreaux.

J'essaie de me mettre à la place d'une personne chrétienne qui croit sincèrement à sa propre éternité. Elle la confond peut-être avec l’atemporalité, l’absence de temps. Ou alors elle pense que le non-être est une modalité de l'être, de son être particulier ! L’absurdité n’est pas un domaine réservé : chacun y a droit, notamment le chrétien. Je n'ai pas ce don d'illusion car, philosophiquement parlant, je définis la mort par défaut. La mort est une pensée dérivée de la vie, un sous-produit en somme. La méditation de la vie et celle de la mort pour moi se confondent.

Qui croit à sa propre éternité confond deux tendances contraires de l'esprit: celle qui nous resserre dans notre nature finie et celle qui nous répand hors de nous-même par un mouvement d'expansion illimitée. Il projette la mort dans le temps et dans l'espace alors qu’elle n'est que la limite de la vie. Il lie son destin personnel au destin cosmique !

L’éternité n’est pourtant pas un vain mot puisqu'elle est ressentie. Elle nous concerne individuellement puisque chacun d'entre nous peut se considérer comme l'infime partie d'un Tout dont il est solidaire de son vivant. Profitons de cette bienfaisante faculté de croire en l'éternité tant que c'est possible. 

La pensée de la mort est aussi puissante que celle de l’éternité. Elles agissent en concurrence, nous tirant tantôt du côté de l’être individuel, tantôt du côté du Tout.

La théologie et l'Église

La théologie a déshumanisé la philosophie. En piégeant l'homme dans des dogmes infaillibles, elle a ôté au vivant le droit de s'ériger en juge de soi-même. Elle a réduit l'intellect à la dialectique et aux glossaires. Elle a ruiné la source profonde des interrogations humaines pour la remplacer par une Vérité vendu comme un mystère ! Heureusement, elle a engendré des générations d'hérétiques et de rebelles. Mais la gangrène scolastique se cache toujours parmi nous, dans les institutions officielles et sous des masques chaque jour différents !

Non seulement le christianisme a fondé la civilisation occidentale sur une fable, mais elle a perverti la raison telle que l'avait définie les grecs. Si cette imposture a eu une si belle longévité, qu'elle a fondé un ordre social durable, c'est qu'elle légitimait une violence institutionnelle basée sur des conceptions d'obéissance et de soumission. Au fond, la contribution majeure des clercs a été d'apporter aux puissants les principaux outils de leur domination, des outils de nature intellectuelle et psychologique. Comme dans tous les systèmes totalitaires, la force de ces outils de domination réside dans une cohérence dont l'absolu n'a d'égal que l'absurdité, une argumentation impeccable mais totalement détachée du réel et le rejet de la contradiction et de la contestation. 

La métaphysique quand même

Dispersion intellectuelle. Impuissance à identifier ce qui constitue mon fond permanent afin de m’y établir durablement. Recherche d'un modèle pour ma démarche intérieure. Si l’enjeu métaphysique, évident dans mes billets récents, n'est pas à ma portée, je devrai alors me contenter du banal débat existentiel en picorant ma pitance dans les éthiques classiques. Nettement moins excitant que de s’immiscer en profane par effraction dans les mystères de l'Être. Mais comment entrer dans le vif de ce sujet si attirant sans affronter l'abstraction des traités de métaphysique ?

Une autre biographie

Il est possible que l'essence ne précède pas l’existence mais soit sa fin. Dans l’entreprise autobiographique, le moi vieillissant inventerait alors sa propre essence sur la base des "possibles" et non pas des "réalisés". Je me retrouve dans cette quête tardive. Je suis riche surtout de ce que j'aurais pu faire.

Retour à l’incréé

L'origine des créatures est dans l'incréé auquel notre entendement n'a pas accès. En sortant de l'incréé, les créatures entrent dans les dictionnaires et les grammaires. Or leur mode d'être au monde et de communiquer pourrait naître du seul arrangement des images et des sons et l'on devrait ainsi pouvoir parler aux arbres et aux oiseaux et s'en faire comprendre. S’imaginer avant la Création et retrouver l'origine du langage commun. Il existe une intelligence immédiate des choses et des êtres vivants et nous en avons heureusement quelques vestiges dans les langages naturels, tels par exemple les formes de la biologie végétale et les paraboles bibliques. Le plus humble peut accéder à ces signes primitifs. 

Le crime du dieu biblique

Selon l'Ancien Testament, Dieu a ordonné à l'homme de dominer les animaux et tout ce qui bouge sur la terre (sic) ! Le dieu biblique n’a donc pas anticipé les conséquences de cette injonction; il n'a pas pris la mesure de la malignité de sa créature. François d'Assise, magnifique hérétique qui respectait infiniment la nature et les créatures, s’est bien moqué du verbe divin, au moins de celui-ci!

Celui qui se souvient

L’existence depuis l'enfance, …. source inépuisable d'images et de sentiments, matériau d’une prodigieuse richesse. J'ai du mal à aborder ce continent par l'écrit. Me souvenir m'apparaît d'une grande brutalité si je n'interpose pas de puissants filtres entre la mémoire et les mots. Plus haut, j'ai évoqué l'un de ces dispositifs, à savoir considérer l'existence comme la quête d’une essence postulée. Le subterfuge risque d'être inopérant, le poids du passé restant accablant, avec ses regrets, ses remords, ses frustrations, les rendez-vous manqués avec la vie. 

Et pourtant, ne doit-on pas un hommage aux êtres qui nous ont touchés, à ceux qui nous ont marqués ? Comment, par exemple, puis-je oublier que je partage mon existence avec T. depuis 25 ans, soit la moitié de sa vie à lui ? Quel oubli inexcusable ce serait de ne pas prêter mes mots aux souvenirs communs et de ne pas les lui offrir en partage ! A côté de lui, je vois défiler devant mes yeux les personnes aimées ou simplement estimées, innombrables. 

Ma communauté

Je ne m'appartiens pas. Je ne suffis évidemment pas à moi-même. Je fais partie d’une communauté en devenir. J'y figure comme l'anneau d'une chaîne. Je me rattache à un être collectif qui est à la fois continuité et solidarité. Au terme d'une longue recherche, je veux manifester ici mon adhésion à cet être collectif, trouver les mots pour rendre compte de cette continuité qui me dépasse et, finalement, acquérir mon droit de passage dans la modeste barque où une place m'a été réservée sur l'océan des possibles. Aujourd'hui j'ai la force de croire que, loin d'être voué à mourir recroquevillé dans la misérable enveloppe du moi, je suis destiné à rejoindre ma communauté spirituelle. N'est-ce pas tout mon projet actuel ?

gilleschristophepaterne@gmail.com
Révisé en mars 2023