MAI 2015 - Retourner aux sources - Mieux que la mémoire - Vérité - Mémoire sans moi - La conscience et Moi

Dans la quête de l'absolu le philosophe rencontre le poète.

Retourner aux sources

Deux approches tardives et complémentaires, à mener de front, pour transformer la vie: l'abstraction philosophique et la transposition poétique des sensations. Si je devais absolument utiliser les livres dans cette quête, mieux vaudrait alors dialoguer avec les pionniers qui, étonnés par leur propre regard sur les choses ont inventé les mots pour les dire. Les grecs et les latins, notamment, chez qui philosophie, science et poésie tendaient à se confondre.

 Mieux que la mémoire

Comment ne pas témoigner après soixante ans ?  N'y a t-il pas là, dans cette vie unique qui est la mienne, comme l'est celle de chacun d'entre nous, un champ unique d'expérience? Quand je me retourne sur ma vie passée je ne la trouve pourtant ni remarquable ni unique. Cela signifie-t-il que je me suis contenté de consommer le capital de vie qui m'a été octroyé à la naissance et que je l'ai laissé filé entre mes doigts ?  

Ceci dit, est-il avisé de se retourner sur sa vie par le seul effort de la mémoire, au risque d'en faire un pur objet de dissection ? Personnellement, ne m'importe du passé que ce qui contribue organiquement au présent et permet d'envisager l'avenir. Je véhicule au présent, dans les couches sous-jacentes de la conscience, ce que le passé m'a légué d'essentiel. La conscience pourra me restituer ce legs, bien mieux que la mémoire volontaire. 

Vérité 

Le terme de vérité en impose: on lui affecte d'emblée une valeur unique, absolue, transcendante. Cette conception appliquée ordinairement aux sciences, impressionne beaucoup ceux qui ne les pratiquent pas. Or la vérité scientifique est relative et nullement indispensable dans l'absolu pour agir sur le réel et le transformer. Les civilisations, quant à elles, sont fondées sur des conceptions parfaitement étrangères à toute vérité sub speciae aeternitatis, quand elles ne sont pas fondées sur des artifices de l'imagination collective tels que les religions.

La pensée philosophique elle-même s'appuie sur le postulat naïf de l'existence d'une Vérité, vérité vraie qu'il conviendrait d'atteindre, fût-ce en tâtonnant et en se trompant. Les créateurs de systèmes philosophiques, s'acheminent, livres après livres, vers ce qu'ils croient pouvoir être la formulation définitive. Comme alternative, ou palliatif, à cette quête épuisante, on a inventé la pensée historico-critique, qui consent à côtoyer le relatif et l'impur par la déconstruction des systèmes de pensée et l'archéologie des savoirs. La philosophie critique et l'histoire de la philosophie sont ainsi fondées sur la  relativité des conceptions humaines, donc sur la négation de toute vérité définitive. La pensée la plus efficacement critique relève des logiciens, lesquels érigent paradoxalement la Logique comme fondement de la Vérité !  Je crois savoir que Wittgenstein ne s'est pas laissé piéger.

Mémoire sans moi

Plutôt que de rechercher les vestiges du moi dans des souvenirs exsangues, préférer aller à la rencontre de la perception pure, de la sensation magnétisée par la mémoire mais détachée du moi ! Je m'en suis avisé aujourd'hui en écoutant La Mer de Debussy. Je me suis imaginé dans une maison au sommet d'une falaise, les fenêtres ouvertes sur l'océan, et j'assistais tout au long de la journée au spectacle changeant qu'évoque la musique. Il est impossible de transcrire le déferlement de remémorations que cela a provoqué. Je n'y étais plus en personne mais la mer, elle, y était ! Je n'aurais évidemment pu inventer ce plaisir imaginaire sans l'avoir déjà vécu personnellement. Mais si j'avais essayé de m'y retrouver, le souvenir en aurait été profondément altéré et la nostalgie aurait entravé le surgissement spontanée des images. Grâce à la musique, je me suis retiré de ma mémoire personnelle et j'ai pu accéder à une mémoire universelle de la mer, probablement via les Formes musicales dont la mer participe et que Debussy a su retrouver à l'intention de ses auditeurs. Je n'étais plus moi, lié à mes souvenirs personnels, mais un sujet capable de remonter à la source de la perception pure.

La conscience et Moi

Des états de conscience dits supérieurs, je retiens ceux par lesquels l'esprit cherche à s'élever grâce à la concentration mentale - les états philosophiques -, et ceux qui visent au contraire à fondre le moi dans le monde par la contemplation passive, - les états poétiques -. Il faudrait pouvoir les alterner, comme dans une respiration. Les premiers permettent d'accéder à l'unité primordiale sous une forme non dialectique. Les seconds nous font participer à la plénitude cosmique. Comment se contenter d'un seul de ces états ? Les deux sont nécessaires à l'économie vitale.

J'ajoute que la conception d'un état supérieur de la conscience dans laquelle le moi s'efface n'est paradoxale que pour ceux qui assimilent le moi à la conscience. En vérité, la conscience, dans sa forme la plus accomplie, allège l'esprit du poids de l'être immédiat (le seul qui ait une quelconque réalité), donc du moi.

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Révisé en mars 2023