MARS 2015 - Se fausser compagnie - La philo au programme - Le soi comme éclaireur - La bonne voie - A l'usage unique de soi - Les limites - Péché originel

Se fausser compagnie

Passé un certain âge, le monde intérieur est si encombré qu'il est généralement difficile de s'en évader. Moi j'ai ce privilège de pouvoir facilement me fausser compagnie. 

La philo au programme

Je n'en finis pas de renoncer à étudier la philosophie (livres, conférences du Collège de France, cours en ligne de l'ENS). Le soir, aux moments de lassitude, j’y renonce, puis le matin suivant, aux heures de grand éveil, j’y reviens. Amour-désamour. Ces velléités, loin d’être des échecs de l’autodidacte, traduisent une exigence intérieure que l’étude méthodique ne peut pas pleinement satisfaire. Je sens bien que seule une réflexion indépendante, délivrée des livres, fondée sur l'expérience personnelle, puis déposée dans ce journal d'idées, pourrait me faire véritablement avancer au plan spirituel. L'étude programmée est une source continuelle de digressions et de fausses pistes : elle ne respecte pas le mouvement spontané de l'esprit en marche. J’ai pourtant la prétention de garder la main sur mon évolution spirituelle et de ne retenir de mes lectures que ce qui peut servir mon projet intime. Mais combien de cheminements erratiques ne faut-il pas alors faire dans le monde imprimé ! Penser sans les livres, écrire sans m’autoriser d’eux, je ne m’en sens pas la légitimité. Je suis donc voué à l’étude et à ses frustrations, et toujours rejeté sur le bord du chemin.

Le soi comme éclaireur

Rapportée à la personne, la notion d'être est douteuse mais l’être n’est pas le soi. Quand on voit la variété invraisemblable des utilisations du mot être en philosophie, on comprend que c'est le lieu d'un pur malentendu. Le soi est une notion sur laquelle il est peut-être plus facile de s'entendre. Tantôt je le ressens comme cette partie de nous sur laquelle il est possible de se retourner, de se pencher, tantôt comme une antenne tendue vers autrui, et aussi vers l'altérité absolue. Le soi n'est donc pas l'être, ni même l'aspiration à l'être, mais une instance de présence au monde oscillant entre le plus intérieur et le plus autre.

Il n'y a pas si longtemps je faisais de l'anéantissement du soi l'objectif suprême. Mon désir d'ensevelissement était excessif et artificiel, pour tout dire: immodeste. Aujourd'hui j’accepte la fragilité et la relativité du soi, et j’affirme dans le même temps sa nature  d'éclaireur de l'existence.

La bonne voie

Derrière les inconséquences, le temps perdu, les innombrables impasses et fausses pistes, il y a de temps à autre des éclairs de certitude absolue, la conviction puissante que je suis sur la bonne voie, que je m'approche naturellement, sans passer en force, d'une forme de terre promise que je pourrais aussi décrire comme assise définitive.

A l'usage unique de soi

La lecture, quand elle se veut recherche de signification - et pas seulement distraction ou étude - contourne la pensée spontanée, la seule qui soit authentique. Cette pensée originale ne sert qu'à soi, les autres ne s'y retrouvant que si le lieu est commun. Essentiellement incommunicable, elle n'a d'autre importance que sa vitalité. Rien n'empêche de la fixer dans l'écriture pour lui communiquer plus d’énergie encore. Il faudrait pouvoir aussi s'inventer une poésie du même type: une parole-flux-de-vie à l'usage unique de soi (Rimbaud).

Les limites

L'aboutissement littéraire suprême serait une forme poétique lumineuse, l'antithèse de ces proses philosophiques laborieuses où la pensée est attirée par l'ombre. La littérature contemporaine n'a-t-elle pas montré ses limites en compliquant à tel point son propos que les mots ne trouvent plus d'accueil en nous ? Je ne demande pas à la littérature d'être plus qu'elle ne peut être.

Péché originel

Qu'on soit spiritualiste ou matérialiste, rationaliste ou empiriste, il y a toujours une idée majeure qui s'impose durablement en nous et qui contribue à édifier notre système de croyance. Pour moi: l'émergence monstrueuse de l'homme dans la Création. Je ne peux échapper à cette évidence. Toute ma philosophie personnelle en dépend et mes lectures tendent à nourrir et à légitimer cette pensée dominante. Je note que la théologie et la philosophie chrétiennes sont pénétrées par cette idée, très, trop individuelle, du péché originel. Que n’aurait pas dit Pascal en voyant ce que l'homme a fini par faire de l'humanité et de la terre ?


Transcendance

Il me semble que le génie créateur procède par sauts, révélations, conversions, etc... et non par raisonnement discursif. Par exemple, l'expression Je pense donc je suis peut être considérée comme une définition [qu’est-ce que l'être : c’est celui qui pense] soit une proposition suggérée par une intuition primaire indémontrable mais dont chacun peut convenir en son for intérieur. La plus grande manifestation de l'intelligence humaine c’est peut-être cette faculté de transcendance qui lui permet de concevoir l'unité et l'origine sans passer par la déduction logique ni par l'expérience. 

Intranquillité

Dans les religions d'Extrême-Orient (bouddhisme, taoïsme), l'accent est mis sur la libération individuelle, qui en est presque obsessionnelle. Il s'agit essentiellement de conquérir l'apaisement spirituel, de rechercher un confort centré sur le soi. Pour moi, au contraire, l'inquiétude, l'incomplétude et l’intranquillité sont autant de conditions du dépassement, autant dire de la transcendance. J'y tiens.

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Révisé en mars 2023