NOVEMBRE 2014 - Encore des doutes

Encore des doutes

Philosophie, critique littéraire, histoire … Pourquoi cette fringale d'érudition ? L’étude, celle de la philosophie surtout, doit être considérée comme un simple entraînement, une initiation, une incitation à l'expression personnelle, pas un moyen de me remplir le cerveau.

A côté de la philosophie, comme grammaire des idées, j'ai besoin de satisfaire mon goût, plus ludique, pour l’histoire. Pas de n'importe quelle histoire: celle qui a été écrite par les acteurs ou les témoins. Mon introducteur de prédilection c'est Sainte-Beuve avec ses Lundis (Causeries du Lundi, Nouveaux Lundis, Premiers Lundis). Sainte-Beuve s'y montre autant un chroniqueur de mémoires et de correspondances historiques qu'un pur critique littéraire. Il parcourt toute l'histoire de France du Moyen-âge au XIXe et nous livre des centaines de portraits d'hommes et de femmes, gravés comme autant de précieuses médailles. Je suis frappé par cette diversité humaine dont chaque individu est décrit avec art dans seulement une vingtaine de pages. Quand on a achevé la lecture d'un cycle complet des Lundis, on a l'impression de tenir en main tous les exemplaires de la diversité humaine. Mon esprit classificatoire y voit la base d'une typologie des personnalités, une étude qui m'intéresserait comme travail personnel.

En dehors des livres de prédilection, seuls m'intéressent la maison et le jardin, et celui qui règne, plus que moi, sur ce royaume microcosmique. Le reste ne me concerne que subsidiairement. Une voix intérieure me conseille de me détourner de ce qu'on appelle la société. Elle me dit, cette voix de la sagesse, que la sécession est réalisée. Il y en aura sans doute d'autres, plus radicales. Cette retraite, je l’ai voulue, et ma vie passée n'a été qu'une longue préparation à l'extinction sociale. 

Une fois que l'on est parvenu à s'affranchir des préjugés sociaux et du regard des autres, il faudrait aussi savoir se passer des réponses qu'on trouve dans les livres. La lecture trop studieuse est une interminable préparation vers un but qui finit par s'effacer, ne laissant que la manie de lire. Comme pour l'écoute de la musique, il est plus sage de considérer la lecture comme une distraction ou une évasion. C'est bien déjà. Quant aux idées, elles sont en moi, originales ou non. Reste à les écrire

Le besoin d’écrire. Pour assouvir ce besoin, je paraphrase à ma manière des philosophes et des critiques littéraires, j’attache ma propre expression à la leur, avec l’espoir que cette forme d'apprentissage entraînera un progrès intérieur. Je suis persuadé qu’un esprit ordinaire comme le mien n’a pas d’autre choix que de se mettre dans le pas des grands auteurs pour affiner sa perception du monde. Je les choisis selon mes affinités et en use avec eux d'une manière que des amis ne toléreraient pas ! Le défi posé à l'écriture sera d'entrer dans les œuvres littéraires sans être protégé par l'autorité des critiques. Trop de médiation finit en effet par me masquer le monde, par me le rendre étranger même. Les modèles doivent rester les guides d’un moment, des compagnons de route dont il faut savoir s’affranchir. 

Finalement, pourquoi le plaisir de lire et le désir d’écrire ne restent-ils pas indépendants, sans interaction consciente ni délibérée ? Mon programme de lecture pourrait n'être qu'un cadre souple, traduisant des goûts et des tendances personnelles, et en aucun cas contraignant. 

Révisé en février 2023
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