MARS 2014 - A l'abri de la rumeur du monde

A l'abri de la rumeur du monde

Premier bilan de ma lecture du premier tome des Recherches sur le Temps Humain de Georges Poulet. J’ai résumé quelques monographies d'écrivains, mais je dois veiller à rester dans les limites de mon thème initial : les diverses attitudes de l'homme face au temps existentiel. Je m'avise également, en commençant à lire la notice consacrée à Benjamin Constant, que j'avais oublié la passion amoureuse, mais aussi sans doute l'amitié, comme déterminants de notre attitude face au temps. Oubli essentiel ! J'y reviendrai bien sûr.

Rendre compte du retentissement des lectures chez un homme achevant le cours de sa vie. Pour lui, solitude et vieillesse vont de pair, ceci pour le profit de l'esprit. S'instaure alors un recueillement naturel, libérant le regard intérieur. Celui qui, par confort ou par dérision, se dérobe à ce resserrement de l’être échappe à lui-même, échappe à sa destinée peut-être. Je ne vois d'ailleurs que des manières artificielles de sortir de cette solitude essentielle. Toutes les distractions sont vaines. Mon périmètre social et physique à moi se rétrécit de jour en jour, comme pour se conformer plus étroitement à mon sentiment intérieur.

Impressions au cœur de l'hiver, au milieu des livres. Derrière la fenêtre, la perspective de la grande allée du jardin bordée de buis qui reste belle en cette saison. La perception du microcosme varie avec les saisons mais tout reste familier. Ce jardin, tout le temps, et les horizons marins, à la belle saison, font partie de moi : j'espère qu'ils me seront ôtés le plus tard possible. Mais j'ai perdu tout désir de vivre à contre-saison, par exemple d'aller dans un pays chaud au cœur de l'hiver. Pourquoi ai-je perdu ce désir, si légitime au fond ? L'explication est cachée au fond de moi ; elle ne me vient pas spontanément à l'esprit. Il me semble que chez les vieux l’âme repose dans quelques repaires familiers dont elle s’évade difficilement. Toute délocalisation entraîne une suspension du dialogue au cœur de l'être. Ainsi, même dans le plus beau paysage naturel, sous un climat radieux, on peut ressentir l'indifférence foncière de la Création.

Chaque âge a sa raison d'être. Celui auquel je suis parvenu est naturellement spirituel. L'inquiétude métaphysique est devenue vitale, je m’abrite de la rumeur du monde dans un for intérieur aux limites repoussées.

Révisé en février 2023
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