AVRIL 2014 - Je à distance

Je à distance

L’écriture des résumés des essais de Georges Poulet sur le temps m'a donné un certain plaisir. Pourquoi consacrer ce journal du lecteur uniquement aux notes de lecture ? Il faudrait aussi y faire pénétrer le sentiment intime et la matière-même de l’existence. Même si je m’en tiens aux livres, je ne suis pas obligé de me placer sur les sommets. Pourquoi pas quelques impressions de lecture sur des ouvrages faciles ? En tout cas, considérer les lectures comme une sorte de promenade, dont on peut rendre compte sous la forme d’une causerie familière, sans trop de façons, avec légèreté même.

Plusieurs moyens de réinvestir la vie intérieure, bons en toutes circonstances : privilégier l’amour à la haine et au rejet ; s'inventer des existences imaginaires ; transposer la vie présente et passée ; se fondre dans la nature, la grande et la petite ; choisir des divertissements qui ne nous abaissent pas.

Parmi ces divertissements, il y aurait bien les voyages. Mais les voyages, les vrais, ceux qui nécessitent de se transporter sur les lieux, c'est une autre histoire. J'y pense souvent mais sans en avoir le désir. J'ai désormais du mal à m'imaginer ailleurs que dans des environnements familiers. J'ai l'impression que, loin de la maison, je traînerais l'ennui avec moi. Impossible de me débarrasser de cette idée, même en ce moment, au cœur d'un hiver abominable où tout le monde aurait envie de fuir dans quelque coin ensoleillé au bout du monde.

Pour l’expliquer, je peux invoquer des raisons tenant à mon passé. J'ai souvent voyagé dans ma vie et vécu de longues périodes à l'étranger (dix-huit mois en Algérie, deux ans en Italie, un an aux États-Unis). Pour mon travail je me suis aussi beaucoup déplacé, sur tous les continents. J'en ai évidemment retiré une foule d'impressions et il me semble qu'à mon âge la priorité serait de donner la priorité à la mémoire plutôt que d'accumuler d'autres sensations. Cette position est sans doute atypique, la plupart des gens voyageant essentiellement pour se détendre, s'évader du quotidien, et non pas avec le souci d’ajouter une quelconque signification à leur existence. Privilégier la mémoire parce que le corps résiste au déplacement, au dépaysement. Extraire le meilleur du passé plutôt que d’accumuler des sensations nouvelles.

Révisé en février 2023
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